Dictionnaire taxinomique de psychiatrie
(J. Garrabé)



DÉPRESSION ET ÉTATS DÉPRESSIFS




Définition-Historique : Le mot dépression, du latin dépression (de depressus p. p. de deprimere : « presser de haut en bas ») existe en français depuis le XIVème siècle mais il n'a pris le sens que nous lui donnons maintenant que vers 1850.

L'origine en est-elle l'emploi de la langue classique - action de rabaisser - ou la conception énergétique de la vie mentale si répandue à la fin du XIXème siècle et suggérant l'existence d'une force psychique comparable à ces forces physiques ou économiques que la science parvenait alors à mesurer ? Le qualificatif de nerveuse fait de cette force une propriété générale des nerfs et n'indique pas une localisation. Dans le langage médical, c'est en restreignant le sens de « mélancolie » aux seuls épisodes dépressifs de la psychose maniaco-dépressive* que Kraepelin a laissé le champ libre à cette extension sémantique et à l'imprécision qui en découle. Dépression désigne toute perturbation de l'humeur gênant l'activité mentale. La locution « états dépressifs » correspond à la délimitation d'une aire plus restreinte occupée par de nombreux états morbides. En psychopathologie, le seul caractère commun des états dépressifs étant d'être non mélancoliques leurs rapports réciproques s'établissent en référence à une opposition point par point d'une de leur caractéristique à celle correspondante de la mélancolie.

Au caractère endogène c'est-à-dire ici sans cause déclenchante apparente, de la mélancolie s'opposent les états dépressifs dits symptomatiques. Ils peuvent être secondaires soit à une affection somatique cérébrale (dépressions exogènes), soit à une affection psychiatrique primitive. Les troubles de l'humeur survenant au cours de l'évolution de psychoses schizophréniques* ont fait poser la question de l'existence du groupe nouveau des psychoses dysthymiques*. L'école de St. Louis réfute cette opposition endogène-psychogène et propose une classification des états dépressifs en « primaires » et « secondaires » qui « n'implique aucune inférence concernant la cause des dépressions ; Ces deux groupes sont mutuellement exclusifs. La dépression primaire est définie comme un syndrome dépressif survenant chez un sujet n'ayant aucun antécédent de trouble mental (à l'exception éventuelle d'une dépression ou d'une manie). La dépression secondaire est définie comme un syndrome dépressif survenant chez un sujet ayant dans ses antécédents un autre trouble mental (par exemple un alcoolisme, une névrose d'angoisse, une hystérie, etc.) ». Une dépression névrotique peut donc être qualifiée de primaire alors qu'un accès dépressif survenant au cours d'une psychose maniaco-dépressive chez un alcoolique sera étiquettée dans ce système de secondaire.

Il existe dans la nosologie classique une dernière catégorie de dépressions qui s'oppose sur tous les points à la mélancolie : - elle est réactionnelle à une cause psychologique ce que Kraepelin qualifie de psychogène, - ses symptômes sont différents et plus modérés, - elle est réactive au milieu, - il n'y a pas d'antécédents familiaux.

« La terminologie recouvrant cette variété de dépression est particulièrement confuse » (Pichot). Le qualificatif de « réactionnel » (en anglais réactive) peut se référer soit à l'existence d'une cause apparente déclenchante (Reiss 1910), soit à la réactivité au milieu (Gillepsie 1927). Celui de névrotique, qui avait été introduit (Buzzard 1931) pour souligner l'existence de symptômes cliniquement névrotiques, a pu faire croire que dépression névrotique désignait soit une névrose particulière, soit les décompensations dépressives pouvant survenir au cours de l'évolution de névroses structurées.

Les états dépressifs doivent être distingués des personnalités pathologiques souffrant de façon permanente soit d'une symptomatologie dépressive (on a successivement parlé de dépression constitutionnelle, de névrose dépressive, enfin de personnalité dysthymique*, termes à nouveau générateurs de confusion), soit de variations alternantes de l'humeur, tableau désigné de manière plus constante de cyclothymie*.

Il ne s'agit là que des états dépressifs chez l'adulte et l'existence d'authentiques états dépressifs dans l'enfance* pose des problèmes spécifiques.

Cette situation déjà passablement compliquée tant du point de vue terminologique conceptuel a connu en outre un profond remaniement ces dernières années sous l'influence de multiples facteurs :

a) l'introduction de la notion de stress (Selye 1950) en psychiatrie et les modifications qu'elle apporte à celle de réaction* ou de traumatisme* ;
b) la découverte des propriétés antidépressives en 1957 par Kuhn de certains psychotropes qui a pu faire naître l'espoir non encore réalisé de la mise en place d'une nosologie des états dépressifs basée sur les mécanismes biochimiques cérébraux en cause ;
c) la mise en évidence du fait de la constatation de l'inefficacité dans certains cas de cette biothérapie de dépressions dites « résistantes » ;
d) la discussion autour de l'effet dépressogène possible des neuroleptiques ;
e) la distinction entre trouble bipolaire et unipolaire de l'humeur (Léonhard 1962) ;
f) l'analyse comportementale de la dépression substituant à la notion de trouble de l'humeur celle d'interruption ou de ralentissement du système ou plan d'action (Pribram) qui abouti à un point de vue plus syndromique et moins nosologique ;
g) l'apport récent de la chronobiologie des troubles de l'humeur qui paraît conforter certaines des distinctions nosologiques et les asseoir sur la désynchronisation interne des rythmes biologiques avec en particulier avance de la phase de sommeil paradoxal et individualisation des dépressions saisonnières.

INSERM : Les états dépressifs sont répartis entre cinq catégories

1) psychoses maniaques et dépressives 01,
2) schizophrénies chroniques 02 (avec troubles thymiques 02.4)
3) états dépressifs symptomatiques d'une étiologie organique générale 08 ou cérébrale 09 ;
4) états dépressifs non psychotiques 13 (dépression névrotique 13.0 et dépression réactionnelle 13.1.

CIM 9 : Il est établi une liste abrégée des rubriques où la dépression figure comme dépression figure comme dépression majeure ou importante. Cinq catégorie sont essentiellement concernés : 1) Psychoses affectives 296 (4 rubriques) 2) Autres psychoses non organiques 298 (forme dépressive 298.0) 3) Troubles névrotiques 300 (Dépression névrotique 300.4); 4) Troubles de l'adaptation 309 (Réaction dépressive brève 309.0 et prolongée 309.1), 5) Troubles dépressifs non classés ailleurs 311.

CIM Proj. rév. : Les Troubles (affectifs*) de l'humeur F 30 - F 36 sont désormais répartis en 6 rubriques.

D.S.M. III : La classification des états dépressifs est radicalement simplifiée. On ne les retrouve que dans deux catégories diagnostiques : Troubles affectifs* où toutes les distinctions nosologiques classiques sont abolies et Trouble de l'adaptation* où figure Trouble de l'adaptation avec humeur dépressive.

D.S.M. III-R : La désignation correcte Troubles de l'humeur est rétablie. La dépression majeure est divisée en 2 : Episode isolé 296.2x et récurrente 296.3x dont trois types sont reconnus : chronique, mélancolique et saisonnière. Les degrés de sévérité sont codés sur le 5' chiffre. Les critères diagnostiques de mélancolie sont révisés : ils sont donnés sous la forme d'un index de symptômes dont aucun n'est exigé; d'autres facteurs sont inclus comme l'absence d'un trouble de la personnalité significatif antérieur au premier épisode et la réponse favorable à une thérapeutique antidépressive favorable ; Le type chronique correspond aux cas où la symptomatologie persiste pendant plus de deux ans. Le critère saisonnier est retenu lorsqu'il existe une relation temporelle régulière entre un trouble de l'humeur et une période bimestrielle particulière dans l'année, par exemple l'état dépressif débutant en octobrenovembre.

> Voir Masquée (Dépression).

Bibliographie :

- BOYER P, GUELFI J.D. et PULL C.B. - Nosologie et psychométrie des dépressions. In : La maladie dépressive. Ciba, Paris, 1983.

- KIELHoz P. et HOLEG - La dépression réactionnelle ; Conception théorique et empirisme clinique. Conf. Psych., 1974, n' 12, 111-132.

- PICHOT P. - La nosologie des dépressions. Sem. des Hôp., Paris, 1981, 57 n' 15-16, 739-743.

- WIDLOCHER D. - Dépression. Indices biologiques et indices cliniques. Psych. et Psychob., 1986, I, n' 1, 13-18.


Dernière mise à jour : jeudi 28 mars 2002 17:04:34
Dr Jean-Michel Thurin