Acquisition documentaire et consultation, contribution à l'état des lieux

Claude VEIL
EHESS

Le rapport d'activité de Psydoc-France pour l'année 1997 rend clairement compte du travail accompli. Psydoc-France est en même temps un outil performant et un catalyseur d'initiatives et de coopération. Le premier chantier ouvert a été celui de la promotion des revues psychiatriques de langue française. Elles en ont, toutes ensemble, et chacune pour son compte, déjà recueilli les fruits.

Une fois la dynamique enclenchée, deux autres chantiers ont suivi: celui de la veille terminologique, et celui du décloisonnement des réseaux de bibliothèques. D'autres commencent à se mettre en place, par exemple celui de la veille thématique, dont nous allons avoir l'occasion de reparler aujourd'hui. Dans un autre ordre de faits, on retiendra les nouvelles qui commencent à arriver au sujet de l'équipement informatique des services de documentation. En outre, Psydoc-France fonctionne comme lieu de formation, comme conjugaison de volontés, comme carrefour de bonnes volontés. Désormais, presque chaque mois nous apprenons qu'il y a du nouveau.

Psydoc-France est bien installé dans la vie. Il constitue un point d'appui pour l'action; c'est une référence de compétence et de sérieux qui fait honneur à la FFP.

Tout va donc pour le mieux. Enfin, presque. Pour deux simples raisons :

1°- Il reste beaucoup à faire

2°- La tâche est lourde mais les moyens sont modestes. A ce propos, on rappellera un état de fait qu'on observe ici comme dans d'autres démarches innovantes: un bon nombre des personnes et des institutions qui ont coopéré au démarrage de Psydoc-France l'ont fait à titre purement bénévole.

Du fait même de la visibilité de Psydoc-France, les sollicitations se multiplient. La Fédération reçoit un flux croissant de demandes d'information scientifique et technique. Il n'est pas surprenant qu'une partie de ces demandes restent insatisfaites, mais il faut éclaircir le comment et le pourquoi. Cette situation, il faut le souligner, n'a rien d'exceptionnel en dehors de la psychiatrie. A preuve les termes qu'emploient deux chercheurs en immunologie, dans une publication toute récente de l'Inserm*, à leur retour du séminaire d'Obernai, pour décrire les nouveaux services d'information médicale: « Les techniques sont variables....les modèles économiques sont encore plus divers...les modèles juridiques restent flous...en résumé, encore une grande confusion pour l'utilisateur et le professionnel... » . Je vais donc m'efforcer d'être concret.

Voici un exemple de demande. Juliette, étudiante en sociologie dans une ville moyenne du centre de la France prépare un mémoire de maîtrise sur la pratique de l'expertise psychiatrique judiciaire. Elle s'est adressée à la FFP pour l'aider à trouver des données numériques et des analyses relatives aux vingt dernières années, en ce qui concerne la ville de D., le département, la France entière.

En face, voici Psydoc-France. Nous savons - nous le savons, mais Juliette ne le savait pas - que c'est une base qui rassemble et peut communiquer, au fur et à mesure de leur parution dans des revues psychiatriques françaises, des informations précises sur l'avancement et les résultats de la recherche dans notre discipline. Il n'était pas impossible d'y trouver des éléments de réponse à la demande de cette étudiante, mais c'était quand même bien improbable.

Juliette est étudiante, ce n'est pas un chercheur professionnel. Sinon, elle aurait mieux su orienter sa demande. En outre, elle aurait eu accès aux ressources de son institution de référence, à l'aide personnelle d'un documentaliste, à une prise en charge des frais - alors que ceux-ci seraient vraisemblablement beaucoup trop élevés pour son budget personnel. Les bibliothèques universitaires n'ont pas été outillées pour fournir des prestations lourdes aux étudiants de deuxième cycle. Les bibliothèques médicales des CHS n'ont pas vocation à mobiliser leurs moyens pour des tâches étrangères à l'activité des personnes qui travaillent dans l'établissement.

Muni de ce récit de cas et de quelques autres, j'ai proposé à M. D.Causse, directeur de l'association L'Elan retrouvé, et à Mme M.Roy, documentaliste à l'Institut Paul Sivadon, d'y réfléchir avec moi. Mes interlocuteurs y étaient bien préparés, car ils ont une grande expérience, l'un d'un réseau d'échanges sur le thème de l'accréditation, l'autre du réseau parisien d'échanges entre bibliothèques psychiatriques. Ils apprécient les fruits de l'entraide documentaire dans un cadre professionnel. Ils en connaissent aussi les limites, qu'on peut résumer en ceci qu'il reste très difficile d'en faire comprendre l'intérêt en dehors de la discipline; et pas seulement l'intérêt, aussi la fragilité, car si la circulation de l'information et de sa mise à jour vient à être interrompue (ou même seulement ralentie pendant quelque temps), quelle qu'en soit la raison, la remise en route deviendra problématique, et l'acquis antérieur sera périmé.

Ce déficit de la reconnaissance du besoin de documentation entraîne des carences lors de la préparation et de l'exécution des budgets des établissements, et par voie de conséquence une sous-qualification d'une partie du personnel. On repère de même une carence de la formation initiale et de la formation continue des utilisateurs.

Tant que les relations entre fournisseurs d'information et les relations entre fournisseurs et utilisateurs sont collégiales ou réciproques, leur dimension comptable et financière reste gérable. Les choses deviennent beaucoup plus compliquées en présence d'une demande externe, même solvable. Certes, on peut attribuer une valeur monétaire à l'heure de travail d'un documentaliste, à la minute de connexion à une banque de données, au coût marginal d'une page de photocopie. Mais il n'est guère concevable de rendre à des particuliers un service marchand sans rapport apparent avec l'objet social de l'institution.

A ce point de la réflexion, il est logique de s'interroger sur l'éventualité d'un financement par d'autres sources. Peut-on obtenir des subsides d'origine publique? Le recours aux fonds de formation continue est-il envisageable? Ces deux questions n'ont pas encore de réponses. Par ailleurs, il convient d'interroger les entreprises privées présentes dans le champ de la santé sur le mode de participation qu'elles peuvent envisager; naturellement il faudrait définir les responsabilités de chaque partie et les règles déontologiques qui s'imposent à chacune.

C'est pourquoi il importe d'étudier toutes les possibilités de formalisation d'accords entre partenaires. Que peut-on attendre du passage par les fonds de formation continue? Peut-on instituer un fonds, une sorte de coopérative ou de caisse de compensation tout à fait spécifique? Quelle forme de soutien les caisses de Sécurité sociale, les DRASS, les DASS, l'Education nationale, les grandes et petites bibliothèques publiques, les agences régionales de l'hospitalisation pourraient-elles envisager? Il faudrait aussi travailler en prise avec les fondements de la vie locale, grâce à la dynamique des rapprochements de voisinage naturel. On pense ici à l'impulsion que les municipalités souhaiteraient donner, à la réussite des réseaux ville-hôpital, aux possibilités ouvertes par la constitution de Groupements d'intérêt économique (GIE) ou de Groupements d'intérêt public (GIP).

Il y a là matière à faire du bon travail.

* BÉNÉ M.C. & FAURE G. - I.A., n°156 (décembre 97/janvier 98), p.14




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